Pierre J. Jeanniot
O.C.,C.Q.,B.Sc.,LL.D.,D.Sc.
Opinion piece by Pierre Jeanniot in La Presse
L’entretien des avions est devenu une industrie en elle-même:
Au-delà de la main-d’œuvre, il faut des investisseurs, de bons gestionnaires et des équipements modernes
La Presse – Opinion Piece
Montréal, June 1, 2012 >>
Le monde de l’aviation civile vit depuis une vingtaine d’années une transformation peu commune. La volatilité des coûts du carburant, les pressions environnementales, les préoccupations envers la sécurité, les redevances et taxes excessives ainsi que l’apparition des transporteurs à rabais, ont forcé les compagnies aériennes à se restructurer et à repenser leur fonctionnement pour tout simplement assurer leur survie.
Et encore une fois, malheureusement, un bon nombre de lignes aériennes se voient dans l’obligation de demander des concessions majeures à leur personnel.
Parmi les tendances observées depuis plusieurs années, une des plus significatives fut sans contredit la décision, par un grand nombre de compagnies aériennes, de confier l’entretien majeur de leurs appareils à des firmes spécialisées, de manière à diminuer leurs coûts. Ainsi d’importants centres de maintenance, réparation et révision d’aéronefs (M.R.R.) ont été créés un peu partout à travers le monde. On peut penser à Lufthansa Technik ou à HAECO (Honk Kong Aircraft Engineering Company) qui figurent parmi les plus importants. L’entretien des avions est devenu une industrie en elle-même.
Il y a plusieurs années, les centres de services techniques d’Air Canada de Montréal et de Winnipeg s’étaient forgé une réputation fort enviable sur le marché, suffisamment pour attirer des contrats provenant de l’extérieur. L’avenir s’annonçait suffisamment bien pour cette division pour entrevoir la création d’une unité distincte et rentable.
Mais en 2004, Air Canada était dans une impasse financière majeure et, dans le cadre d’une restructuration sanctionnée par les tribunaux, ses créanciers ont imposé, pour la survie de l’entreprise, des conditions strictes. Air Canada est devenue une filiale en propriété exclusive de Gestion ACE Aviation Inc. (ACE) et certaines de ses activités ont été regroupées en entités distinctes pour être revendues, de façon à générer les fonds requis pour la relance du service aérien. C’est ainsi que furent vendus Aéroplan et Air Canada Jazz de même qu’éventuellement une partie de la division des services techniques d’Air Canada (appelée ACTS). En fait, l’ancienne division de la maintenance d’Air Canada a été scindée en deux : la maintenance des cellules, des moteurs et des composants ont été confiées à ACTS tandis qu’Air Canada a conservé les activités quotidiennes de maintenance des appareils (la « maintenance en ligne ») ainsi que d’autres fonctions – les syndicats concernés ayant approuvé cette restructuration.
En 2007, ACE a ainsi vendu ACTS à un groupe d’investisseurs qui se proposaient de la faire croître en diversifiant sa clientèle. Un an plus tard, l’entreprise adoptait le nom Aveos Performance aéronautique. Mais déjà en 2010, les actionnaires initiaux baissaient les bras et radiaient leur investissement de 800 millions $ dans Aveos. Air Canada, qui ne voulait pas être prise au dépourvu, aida Aveos à se recapitaliser et lui accorda ses contrats de maintenance à long terme à des tarifs qui auraient dû lui assurer une stabilité financière — le temps qu’elle puisse mettre en œuvre son nouveau modèle commercial. Malheureusement, Aveos n’a pas réussi à fonctionner de façon rentable et à élargir suffisamment sa clientèle, et elle a fermé abruptement ses portes le 19 mars dernier, laissant derrière elle 2 600 employés sans emploi dans diverses villes canadiennes, principalement à Montréal. Il serait inexact d’affirmer qu’ Air Canada ait précipité la chute d’Aveos, bien au contraire.
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Sans la restructuration de 2004, il est probable qu’Air Canada n’existerait plus aujourd’hui. Les 2,2 milliards $ obtenus par ACE de la vente de ses trois divisions (Aéroplan, Jazz et ACTS) ont notamment permis à Air Canada de récompenser les investisseurs qui avaient rendu possible la relance de la compagnie, mais également d’acquérir de nouveaux appareils, de rafraîchir les appareils existants et ainsi d’être plus compétitif dans le marché mondial de l’aviation.
Depuis la fermeture d’Aveos, Air Canada a confié l’entretien de certains de ses appareils à différentes entreprises. Elle privilégie, dans la mesure du possible, celles oeuvrant au Québec et répondant à ses standards, et permettant ainsi à certains ex-employés d’Aveos de se trouver un emploi. Mais le gros du bassin de talents demeure en disponibilité et il y a là une opportunité pour Montréal et le Québec.
Un marché de la M.R.R. existe en Amérique du Nord et celui-ci va bien au-delà des simples besoins d’Air Canada. Des études récentes démontrent qu’il existe une pénurie de centres d’entretien pour gros porteurs en Amérique du Nord et que plus de 25% du travail doit être effectué en Asie. Considérant que l’aller-retour d’un appareil en Asie prend au minimum deux jours et que les coûts de deux vols au-dessus du Pacifique sont substantiels, force est d’admettre que les compagnies aériennes trouveraient leur compte si l’offre de service en M.R.R. en Amérique du Nord était augmentée.
Si nous possédons toute la main d’œuvre nécessaire ici même, un défi demeure toutefois et c’est la modernisation des équipements et outils nécessaires à l’entretien des appareils modernes. Les nouvelles techniques largement dépendantes de logiciels sophistiqués et de supports informatiques avancés permettent un gain de productivité important, éliminant ainsi le temps perdu et réduisant les larges inventaires. Combinés à une équipe de gestionnaires chevronnés, ces nouvelles techniques pourraient contribuer à l’essor d’une industrie plus prospère et plus concurrentielle.
Air Canada a affirmé son intention de collaborer pleinement avec des exploitants potentiels aptes à offrir au Canada des services répondant à ses besoins de façon concurrentielle. Il n’est cependant plus possible de compter uniquement sur Air Canada qui, comme bien d’autres lignes aériennes, ne conçoit plus son rôle d’exploiter de telles installations, sans parler des ressources financières requises. Il faut voir plus loin.
Il s’agit ici d’une industrie dont Montréal pourrait continuer de s’enorgueillir. À mon humble avis, un débat devant les tribunaux ne me semble pas constructif et ne ramènera pas les emplois perdus – au pire, il aura peut-être comme conséquence d’éloigner des investisseurs potentiels.
Nos énergies et nos efforts doivent plutôt se concentrer sur la recherche d’investisseurs qui contribueront à la poursuite du développement et de la croissance de cette industrie qui a le potentiel d’être un maillon important de la grappe aéronautique de Montréal. Le temps presse!