Pierre J. Jeanniot
O.C.,C.Q.,B.Sc.,LL.D.,D.Sc.
Speech at the Club Saint-Denis
Le transport aérien au 21e siècle: une révolution pas très tranquille!
Club Saint-Denis
Montréal, le 8 décembre 2005 >>
Merci, madame/monsieur, pour ces propos élogieux à mon endroit. Je suis honoré d’avoir été invité à être parmi les premiers conférenciers de ce nouveau programme de déjeuners-causeries du Club Saint-Denis.
Notre club fait partie d’une longue tradition qui remonte à l’Ordre du Bon Temps et au Beaver Club original, ce dernier fondé en 1785 par 55 coureurs des bois qui, pour faire partie du club, devaient avoir passé au moins une saison d’hiver entière dans les pays d’en haut. Lors d’un repas typique, nous dit-on, une trentaine de convives ou «voyageurs» avaient englouti 29 bouteilles de madère, 19 de porto, 14 d’hypocras – une boisson populaire à l’époque – 12 bouteilles de bière, sans compter multiple verres de gin, de cognac et de vin, au cours d’un seul repas.
J’espère que votre consommation d’alcool a été plus modérée aujourd’hui sinon je ne me rendrai pas à la troisième diapositive…
L’industrie du transport aérien traverse une période turbulente et continue de faire les manchettes plus souvent qu’à son tour. Ce n’est pas la première fois que cette industrie est en crise. Au début des années 70, l’industrie a traversé sa première crise du pétrole alors que le prix du carburant avait doublé. Dix ans plus tard, une autre crise du pétrole, une quasi-dépression économique et la déréglementation américaine, favorisant l’apparition de plus de 120 nouveaux joueurs, ont créé un profond gouffre financier pour les transporteurs traditionnels aux États-Unis. Au début des années 90, une nouvelle flambée du prix du carburant et un autre cycle financier dévastateur. Braniff, Eastern et Pan Am ont mordu la poussière.
Le nouveau siècle a débuté avec une autre crise: l’effondrement de la bulle technologique, qui a entraîné une autre récession en partie responsable pour le recul des voyages d’affaires et l’effritement de la structure tarifaire de l’industrie. Vinrent ensuite en rafale les événements du 11 septembre, la guerre en Iraq, la crise du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) et maintenant, la hausse vertigineuse du prix du pétrole. Il y a quelques semaines, le prix du pétrole a atteint le sommet record de 70 $ le baril.
Aux États-Unis, la situation est tout simplement catastrophique. L’Association des transporteurs aériens américains (ATA) annonçait, il y a quelques semaines, qu’elle s’attendait à ce que ses membres affichent une perte de 9,5 milliards $ US pour cette année.
Pas étonnant que Warren Buffett, le célèbre financier, ait déjà dit que si un capitaliste s’était trouvé à Kitty Hawk, il aurait rendu un fier service aux futurs investisseurs en abattant ce premier vol des frères Wright.
En septembre de cette année, Delta et Northwest se sont placés sous la protection de la loi contre les faillites, ce qui leur procure temporairement un peu d’oxygène. United a obtenu une dixième prolongation dans le cadre de sa restructuration. Les six plus grands transporteurs nord-américains sont en sérieuse difficulté et quatre d’entre eux sont en faillite.
Les gens voyagent plus que jamais, les avions semblent toujours bondés et pourtant, l’industrie est en difficulté. L’industrie est lourdement taxée et se retrouve, une fois de plus, au centre de préoccupations environnementales. Et finalement, au cours des derniers mois, il s’est produit sept accidents d’avion en autant de semaines.
L’industrie aérienne, telle que nous l’avons connue jusqu’à maintenant, peut-elle encore survivre en dépit de toutes ces difficultés? La réponse est un «oui» sans équivoque! L’industrie aérienne est en pleine évolution et s’adapte pour survivre. Elle en sortira transformée profondément.
À ce stade-ci, puisque j’ai répondu à la question, je pourrais peut-être aller m’asseoir. Une allocution gagne toujours à être brève, n’est-ce pas?
Mais comme j’ai promis à Mona Agia une réponse un peu plus étoffée, permettez-moi de poursuivre encore pour quelques instants.
S’adapter pour survivre est un principe que l’industrie aérienne a appris à ses propres dépens depuis toujours et, plus particulièrement, au cours de la dernière décennie. Tous les secteurs de cette industrie sont à réinventer leurs produits réduire leurs coûts et repenser leurs stratégies afin de demeurer compétitifs.
Bien sûr, certaines espèces, incapables de changer, sont en péril. Les transporteurs nationaux et les supersoniques ne sont pas les premiers, ni les derniers de nos drontes. Mais règle générale, tous les joueurs du secteur du transport aérien – constructeurs d’avions, motoristes, agences gouvernementales, gestionnaires d’aéroports et de corridors aériens – sont à s’adapter, plus ou moins rapidement, aux nouvelles réalités.
J’espère que nos amis américans du «Bible Belt» ne m’accuseront pas de privilégier la théorie de Darwin sur l’évolution des espèces à celle de l’«Intelligent Design».
Au chapitre des avions, nous avons de bonnes raisons de nous réjouir.
Des réalisations spectaculaires en design et en ingénierie caractérisent les nouveaux appareils, une révolution technologique en quelque sorte.
Pour ma part, quatre éléments cruciaux font toute la différence entre un dronte en puissance et un avion voué à un avenir des plus prometteurs.
Ces éléments cruciaux sont: l’aérodynamique nettement perfectionnée grâce à de nouvelles ailes et surfaces de contrôle; une électronique de pointe qui permet d’optimiser la performance de vol en tout temps; le poids substantiellement réduit grâce à une grande utilisation de composites; et enfin, une nouvelle génération de moteurs offrant des améliorations significatives en matière de consommation de carburant, de bruit et d’entretien.
La conjugaison de ces facteurs se traduit par une performance hautement améliorée. Le Boeing 787 Dreamliner et l’Airbus A380 en sont de parfaits exemples.
Le 787 utilisera 20% moins de carburant par passager que les avions d’aujourd’hui, comme le B767, par exemple. Le carnet de commandes de Boeing est éloquent: plus de 20 lignes aériennes ont placé des commandes et des options d’achat pour 309 Dreamliners dont 233 fermes. La projection une demande pour 3 500 appareils de cette taille sur les prochains 20 ans.
Cela a sans doute motivé Airbus dont la réponse ne s’est pas fait attendre et l’avionneur européen promet de lancer sur le marché dès 2010 un nouveau modèle, le A350, qui fera sans doute la vie dure au Boeing B787. (à date 155 engagements dont 59 fermes).
L’Airbus 380 a été la grande vedette du Salon Le Bourget cet été. Malgré un retard de six mois pour sa première livraison à Singapore Airlines et quelques autres premiers clients, on s’attend à ce que ce géant du ciel de deux étages livre véritablement la marchandise. À ce jour, 13 lignes aériennes ont placé des commandes fermes pour 159 Airbus A380. Airbus prédit que les coûts d’exploitation du A380 seront de 15% moins élevés que le 747-400.
Les postes de pilotage de ces nouveaux avions sont dotés d’avionique dernier cri et de systèmes de gestion de vol de grande précision et l’avionique, d’une architecture flexible, permettra d’incorporer facilement des développements futurs. Par exemple, «la vision synthétique», ce que Charles Lindbergh rêvait d’avoir, soit des lunettes pour voir à travers le brouillard.
Les prévisions météorologiques ont fait du chemin depuis ce temps-là et à ce sujet, permettez-moi une petite anecdote. À la suite de sérieuses inondations à Jeddah en janvier 1979, un journal local avait publié le bulletin suivant. Pour en conserver toute la saveur, je dois le lire en anglais: «We regret we are unable to give you the weather. We rely on weather reports from the airport, which is closed because of the weather. Whether we are able to give you the weather tomorrow depends on the weather».
Thales, une compagnie que je tiens en affection, a été un chef de file dans le développement de l’avionique du A380. Pour ce merveilleux appareil, Thales a aussi conçu un système de divertissement en vol offrant jusqu’à 1 200 films et 66 canaux, dont le réseau d’une puissance d’un gigaoctet peut donner accès au Web avec clavier et souris à chaque fauteuil. Les mordus pourront continuer à se brancher à 11 kilomètres d’altitude. Si vous me permettez l’expression, en termes de connectivité, «the sky is no longer the limit.»
Le domaine des avions régionaux est aussi en pleine évolution et la lutte sera dure entre Bombardier et Embraer. La décision de ces deux avionneurs de construire des appareils de plus grande capacité risque de les placer en concurrence directe avec Boeing et Airbus. Embraer a pris une longueur d’avance en livrant son premier 190 cette année (approx. 100 sièges). Il se propose de livrer son premier 195 à la mi-2006 (approx. 110 sièges).
Bombardier, une compagnie de chez-nous, est en lice pour construire des appareils de 110 à 130 places. Mais faute de clients et de moteur, son lancement a été reporté à une date indéterminée. Pratt & Whitney (Canada) a bien indiqué son intention de développer un moteur mais la décision finale n’a toujours pas été annoncée. Elle doit sans doute compléter une étude de marché afin d’évaluer les autres applications auxquelles un tel moteur pourrait aussi servir.
La scène se complique avec l’arrivée d’autres participants. Un ours russe est entré dans la course et il faudra aussi le prendre au sérieux. (Premier vol en 2007). Conçu par Sukhoi avec l’aide de Boeing, il sera motorisé par SNECMA. Toute l’avionique proviendra de THALES, avec une importante participation de nos effectifs au Canada.
Enfin, il n’y a pas que les Russes dans la mêlée. Les Chinois ont, eux aussi, décidé de construire un appareil régional. Mais comme un concurrent de THALES leur fournit l’avionique, je n’en ferai certes pas la promotion ici!
Tous ces nouveaux appareils, conçus à la fine pointe de la technologie, rendront les vols plus sécuritaires, plus confortables et plus économiques que jamais. Toutefois, ne trouvez-vous pas que les mesures de sûreté et les tracasseries dans les aéroports nous ont enlevé tout plaisir de voyager?
Je vous propose une vision d’un avenir que j’espère rapproché: Vous arrivez à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal, (je ne m’aventure pas à abréger le nom de cet aéroport, ce qui serait irrévérencieux). Plutôt que de faire la queue au comptoir d’enregistrement, vous vous dirigez immédiatement vers un kiosque automatisé qui procède à la lecture de votre passeport ou tout autre carte d’identité contenant vos données biométriques. Vous obtenez ainsi les détails de votre réservation et tous les autres renseignements personnels utiles à votre voyage. Une fois votre identité confirmée, vous recevez une carte d’embarquement et des étiquettes à bagages qui émettent un signal radio unique à vos valises, ce qui permet de les localiser en tout temps. Au poste de sécurité et à la barrière, un capteur confirme votre identité biométrique et envoie un signal qui autorise le chargement de vos bagages. Arrivé à destination, vous récupérez vos bagages et présentez votre carte d’identité biométrique pour franchir les douanes et l’immigration en moins d’une minute. Un processus encore aujourd’hui long et fastidieux, impliquant plusieurs points d’interaction, deviendrait ainsi rapide, sans tracas, et surtout, plus sécuritaire.
La concrétisation de tout cela peut sembler éloignée mais détrompez-vous. Les lignes aériennes, les aéroports, les autorités gouvernementales et les fournisseurs de technologie du monde entier sont à tester et à mettre en place des initiatives dans leurs milieux respectifs.
Dans cette optique, les lignes aériennes ont mis de l’avant une série d’initiatives pour réduire les coûts et accroître l’efficacité de divers processus comme la billetterie, l’enregistrement des passagers et la manutention des bagages.
Déjà aujourd’hui, les billets électroniques représentent 40% du volume mondial. Elles se sont fixé l’objectif d’atteindre 100% en 2007.
En éliminant les billets traditionnels, c’est tout le processus d’enregistrement qui est transformé. Les cartes d’embarquement à code barre permettront éventuellement aux voyageurs de les imprimer à domicile.
Entre-temps, vous avez sans doute remarqué que des kiosques libre-service ont surgi dans les aéroports à travers le monde, améliorant le service à la clientèle, tout en sabrant dans les coûts de l’industrie.
Il n’y a pas que les longues files d’attente qui indisposent les passagers. Bien que moins de 1,0% des 1,5 milliard de pièces de bagage transportées annuellement sur des vols commerciaux soient égarées, cela représente tout de même environ 10 millions de pièces de bagage et le même nombre de passagers mécontents. La perte de bagages coûte près de 2 milliards $ à l’industrie et donne lieu à des remarques ironiques, comme celle de Mark Russel, pour qui les anneaux de la planète Saturne sont entièrement composés de bagages perdus. Grâce aux merveilleuses photos de la NASA, nous avons pu réfuter cette allégation!
Les étiquettes d’identification de bagages émettant des fréquences radio (RFID) réduiront substantiellement le nombre de bagages disparus, en retard ou égarés. Les économies en espèces et en frustration des voyageurs seront appréciables.
Toutes ces technologies – billets électroniques, enregistrement en ligne, kiosques libre-service et étiquettes d’identification de bagages par radiofréquence – ont déjà été adoptées, en partie, par des transporteurs aériens et des aéroports avant-gardistes.
Le Canada a fait preuve de leadership en lançant son programme « CANPASS » qui vous permet maintenant de rentrer au pays, aux aéroports principaux, sans avoir à vous présenter à un agent d’immigration et de douane par la simple lecture de votre IRIS. Les États-Unis ont un programme similaire mais ils préfèrent une autre lecture biométrique, en l’occurrence l’empreinte digitale.
En 2004, plus de 1,8 milliard de passagers ont voyagé par avion et on n’a rapporté aucune perte de vie reliée à la sûreté. On a renforcé et verrouillé les portes des cabines de pilotage, on examine les passagers de la tête aux pieds, la technologie biométrique a fait son apparition dans certains aéroports. Au cours des cinq prochaines années, des passeports pouvant être lus automatiquement par machine et leur version avec données biométriques (ou e-passeports) deviendront la norme pour un grand nombre de pays. On s’est entendu, ou presque, sur la transmission des données personnelles concernant les passagers. On a déployé des systèmes de détection d’explosifs. Des milliers d’agents de sécurité sont à bord des vols considérés plus à risques. Enfin, des avions de combat sont prêts à intercepter des appareils suspects. Avons-nous besoin davantage de sûreté? Et les passagers doivent-ils en assumer le prix?
Les coûts des mesures de sûreté additionnelles, prises en charge par l’industrie et le public voyageur, ont maintenant atteint 5 milliards $ par année. Jusqu’à tout récemment, notre pays se classait au premier rang au monde en ce qui a trait à la surcharge pour frais de sûreté imposés sur les billets d’avion.
L’Union européenne favorise le transfert de ces coûts astronomiques aux gouvernements nationaux. Par contre, les États-Unis préconisent doubler la taxe sur la sûreté, qui est présentement assumée par les passagers. On est loin d’avoir un consensus sur ce sujet. À mon avis, il ne revient pas aux passagers de payer pour la sûreté. C’est anormal. Ne revient-il pas à l’État de protéger ses citoyens contre la menace de terrorisme international?
Malheureusement, les gouvernements semblent avoir la mauvaise habitude de taxer le transport aérien au même titre que d’autres fléaux, comme l’alcool et le tabac.
L’évolution de politiques gouvernementales pourrait aussi avoir des effets bénéfiques sur l’aviation commerciale. La libéralisation des marchés en est un exemple.
Les États-Unis avaient entamé, l’an dernier, des discussions avec la Communauté européenne sur la pertinence d’établir un marché commun transatlantique dans le domaine de l’aviation. L’entente avait finalement été «tablettée» en raison des élections présidentielles. Depuis, les négociateurs ont accepté de reprendre les pourparlers. Deux sessions de négociations ont eu lieu qui devraient déboucher sur un accord préliminaire au début de l’an prochain.
Pour ma part, je souhaite que le Canada puisse ouvrir davantage le marché international du transport aérien au Canada afin de poursuivre le processus de libéralisation, entrepris au début des années 80.
Le Canada a conclu, il y a quelques semaines, un accord de type « ciel ouvert » avec les États-Unis. C’est un pas important dans la bonne direction qui devrait viser ultimement l’intégration totale des marchés aériens en Amérique du Nord dans le cadre de l’Accord du libre-échange nord-américain (ALÉNA). Je préconise également le développement d’une entente « ciel ouvert » avec l’Union européenne pour éviter de nous trouver désavantagés par l’entente conclue par les États-Unis et la Communauté européenne.
Entre-temps, ailleurs dans le monde, des pays qui sont sur la même longueur d’ondes ouvrent plus largement leurs marchés. La Russie et la Chine semblent intéressées à une entente de type « ciel ouvert » avec la Communauté européenne, de même que certains pays du bassin méditerranéen. Et les choses bougent également en Asie.
Si la déréglementation des marchés aériens procède trop lentement au goût des consommateurs, le transfert de la gestion des aéroports à des autorités locales, parfois privées, n’a pas toujours été à l’avantage des passagers et des lignes aériennes.
Au Canada, les frais des aéroports sont maintenant parmi les plus élevés au monde et les coûts de location exorbitants imposés par le gouvernement fédéral aux aéroports en sont partiellement responsables. Les coûts de location à Pearson sont d’environ 150 millions $ par année. La représentation énergique du Ministre des Transports auprès de son homologue des Finances a récemment permis une réduction importante.
À l’aéroport Trudeau, on prévoit maintenant une moyenne de 25 à 30 millions $ par année pour la période 2005-2010, ce qui me semble encore trop élevé, compte tenu des montants investis par le gouvernement à l’origine.
Parce que les aéroports sont essentiellement des monopoles dans leurs villes ou régions respectives, leur prise en charge par le secteur privé rend, plus nécessaire que jamais, une bonne gouvernance pour s’assurer que les nouvelles infrastructures requises soient adéquates et fonctionnelles sans pour autant que les coûts et les profits ne soient excessifs.
Les aéroports britanniques qui sont privés et très rentables atteignent leur RSI (retour sur investissement) par le biais des concessions commerciales plutôt que sur le dos des passagers. Stanstead, qui fait les deux tiers de la taille de Pearson, touche environ 140 millions $ en revenus de location de restaurants, de bars, de kiosques à journaux et autres, comparativement à 108 millions $ à Pearson.
La congestion dans les aéroports nuit à la croissance, autant que les coûts excessifs. Construire ou prolonger une piste d’atterrissage est non seulement très onéreux mais aussi politiquement difficile. Les communautés avoisinantes font valoir l’augmentation du bruit et d’émissions pour s’y opposer, et ce, en dépit des réductions colossales en bruit et émissions réalisées par l’industrie au cours des dernières décennies. Des études ont démontré que les avantages compensent largement pour les inconvénients et ce, dans une proportion de 5 à 1. Souvent, il suffit d’une meilleure communication avec la communauté et les groupes de pression pour obtenir leur appui au développement et à l’expansion des aéroports.
Je suis certain qu’il a fallu dialoguer beaucoup avec les leaders de la communauté de Chicago pour les persuader d’accepter le projet d’expansion de l’aéroport O’Hare (15 milliards $ US) qui entraînera la démolition de centaines de maison, 200 commerces et même un déménagement de cimetière.
Les fournisseurs de services de navigation aérienne se doivent aussi d’offrir des gains d’efficacité afin d’améliorer la capacité des corridors aériens et diminuer la congestion. Les bénéfices d’une meilleure gestion du ciel sont potentiellement considérables.
Mondialement, la réduction d’une minute de consommation de carburant par vol se traduirait en 3,6 milliards $ d’économie, essentiellement en frais d’exploitation, ainsi qu’en 4,2 millions de tonnes de CO2. La récente réduction de séparation verticale minimum au-dessus de l’Europe, de l’Atlantique, du Canada et des États-Unis a été réalisée sans problème et en toute sécurité. L’espace des corridors aériens a presque doublé.
Parmi les autres développements prometteurs: La navigation par satellite GPS (Galileo, le système européen, sera opérationnel en 2008); Le concept d’opération «free-flight» en vertu duquel les pilotes choisiraient leur propre plan de vol; Le système de vision synthétique (ESVS);
Une meilleure prévision des conditions de météo et des zones de turbulence; Et finalement, certaines autorités aéroportuaires préconisent une troisième piste d’atterrissage entre deux pistes parallèles existantes.
Toutes ces initiatives sont en développement mais prises dans leur ensemble, elles tripleraient l’espace aérien actuel. C’est une amélioration considérable en efficacité des corridors aériens.
Alors que tous les joueurs s’efforcent à s’adapter pour survivre à cette dernière crise, le profil de l’ensemble des lignes aériennes est en voie de changer considérablement. Les transporteurs traditionnels ne survivront probablement pas et tous les transporteurs nationaux, qui ont longtemps été la fierté de leur pays, sont une espèce en voie de disparition.
La présence des transporteurs à bas prix est bien établie en Europe et en Amérique du Nord où ils contrôleront bientôt jusqu’à 50% des marchés domestiques et régionaux. On compte maintenant plus de 60 transporteurs à bas prix en Europe où certains nouveaux arrivants connaissent une progression fulgurante.
Air Berlin, par exemple, est en voie de devenir le troisième plus important transporteur à bas prix d’Europe, juste derrière Ryanair et Easy-Jet. Air Berlin a commandé 110 Airbus 320 l’an dernier, la commande la plus importante de toutes les lignes aériennes.
Il est évident que la pénétration des marchés par les transporteurs à bas prix plafonnera à un certain moment et que leur consolidation en une poignée d’entités rentables semble inévitable.
De nombreux transporteurs à bas prix ont été lancés en Asie, principalement à Singapour, en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie et sur le continent indien. Et l’Asie connaîtra sûrement aussi une consolidation parmi ses trop nombreuses compagnies à bas prix.
Juste un mot sur la sécurité.
L’année 2004 a sans doute été l’année la plus sécuritaire pour le transport aérien. Toutefois, les sept écrasements en autant de semaines cette année, qui impliquaient, à une exception près, de petites lignes aériennes dont la fiche de sécurité était plutôt médiocre, nous rappellent que les bas prix ne doivent jamais se traduire par une pauvre compétence au chapitre des procédures d’entretien, du professionnalisme des équipages, et de tout autre aspect de sécurité.
L’ouverture des marchés et la déréglementation commerciale permettent à de nouveaux transporteurs d’émerger et c’est une bonne chose mais il faut redoubler de vigilance sur le plan technique pour s’assurer que tous les transporteurs respectent scrupuleusement les plus hautes normes de sécurité.
L’Union européenne a décidé que les lignes aériennes dont la performance en matière de sécurité laisse à désirer feront l’objet d’une liste noire sur Internet. Cette idée a peut-être du mérite mais je crois qu’il serait plus efficace de mandater l’OACI pour faire des contrôles indépendants, plus sévères et plus fréquents, des pays délinquants au niveau de sécurité et d’encourager les programmes d’audit volontaire de contrôle de sécurité opérationnelle des lignes aériennes.
La croissance des transporteurs à bas prix a considérablement réduit la marge de manœuvre des transporteurs traditionnels qui n’ont d’autre choix pour survivre que la consolidation et la concentration sur les liaisons long-courrier et les marchés internationaux.
En Europe, la consolidation a déjà commencé avec la fusion réussie d’Air France et de KLM qui ensemble ont créé la plus importante ligne aérienne européenne. Lufthansa a fait l’acquisition de Swiss International. SN Brussels Airline, née des cendres de Sabena vient d’acquérir Virgin Express. Après une cure d’amaigrissement d’un milliard de livres sterling, British Airways met le cap sur les fusions et les acquisitions. Le scénario le plus probable en Europe suggère trois grands transporteurs internationaux, les autres, s’ils survivent, optant pour une vocation régionale ou un créneau particulier.
Quant à l’Amérique du Nord, on assistera probablement à une consolidation en trois ou quatre gros transporteurs américains, et deux ou trois transporteurs à bas prix rentables, ainsi que quelques petits transporteurs spécialisés. La fusion U.S. Airways-America West a été approuvée, ce qui indique clairement que la fusion entre les transporteurs à bas prix est déjà amorcée. Chez nous, Air Canada a émergé de sa protection de la loi sur les faillites. Ses coûts sont considérablement réduits, ses coefficients de remplissage plus élevés que jamais, et ses profits en hausse. WestJet et CanJet ont également affiché des profits et semblent aussi bien se porter.
Puisque la notion de transporteur national est en voie de devenir obsolète, il n’est pas absolument nécessaire d’avoir un transporteur national au Canada. Toutefois, il est primordial que les Canadiens aient accès à un service aérien de qualité, à prix abordable et adapté à leurs goûts, offert par un transporteur de classe internationale, jouissant d’une excellence technologique et d’une fiabilité à toute épreuve. Et j’espère que les transporteurs canadiens pourront continuer à remplir ces conditions!
Le monde de l’aviation civile a connu une progression fulgurante depuis la première exposition internationale de 1909 qui avait déjà bien compris l’importance commerciale de cette nouvelle industrie. Nos deux paliers de gouvernement l’ont aussi bien compris en favorisant ici le développement d’une « masse critique » de compagnies et d’organisations aérospatiales qui ont fait de notre métropole un centre d’aviation international unique.
Mais cette situation est fragile et il est important de s’assurer que toutes ces sociétés, Air Canada, Pratt & Whittney, Canadian Aviation Electronics (CAE), l’OACI, IATA, Bombardier, le troisième fabricant d’avions au monde, et plus récemment, THALES, jouissent de conditions qui leur permettent de prospérer. Peut-on imaginer l’impact pour l’économie montréalaise si ces entreprises étaient appelées à disparaître? La plupart de leurs produits et services sont destinés à l’exportation, tout comme le siège d’une ligne aérienne canadienne sur une liaison internationale d’ailleurs, et les exportations sont vitales pour le Canada.
L’industrie du transport aérien vit, sans aucun doute, une période intense de turbulence et de restructuration, une révolution qui dérange beaucoup mais, chose certaine, cette industrie n’est pas prête à disparaître. Il est essentiel pour nous, Montréalais, de continuer d’y occuper une place de premier choix.
Aujourd’hui, dans les aéroports, les tours de contrôle, les bases d’entretien, les usines de fabrication, les sièges sociaux des transporteurs et les agences de voyage à travers le monde, une centaine de millions d’hommes et de femmes compétents et professionnels font fonctionner une industrie formidable, qui permet à chacun d’entre nous, en toute sécurité, de continuer à franchir les frontières du temps et de l’espace.
Merci.